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Justice, les défis organisationnels des Jeux Olympiques et Paralympiques

By: Delphine Iweins, Journaliste, Fondatrice de Lex Daily News

Ce n’est plus qu’une question de jours. Une poignée avant que plus de 15 millions de touristes arrivent en France pour participer à la 33e édition des Jeux Olympiques et Paralympiques. En coulisses, on s’affaire. À la Chancellerie, où un nouveau ministre doit être nommé à la suite des élections législatives anticipées, le discours se veut prudent et rassurant. La justice est prête. Ce ne sont pas moins de 14 tribunaux judiciaires dont les ressorts doivent accueillir des épreuves sportives : de Bordeaux à Lyon en passant par Lille, Saint-Étienne, Paris jusqu’à Papeete. Six autres juridictions seront ensuite concernées par les Jeux Paralympiques du 28 août au 8 septembre prochains. Les ressorts où se déroulent les épreuves sont en première ligne, mais pas seulement. Vingt-deux villes de France sont touchées par ce temps olympique débuté le 8 mai avec l’arrivée de la flamme olympique à Marseille. « Nous espérons tous que ces Jeux Olympiques seront une fête. La justice sera présente. Nous sommes mobilisés sans douleur et avec précision », se veut rassurant Jean-François Beynel, premier président de la cour d’appel de Versailles.

Une grande inquiétude

La préparation à cet événement sportif mondial remonte, au moins, au mois d’octobre 2022. Fin 2022, les chefs de ces juridictions faisaient part de leurs inquiétudes. Comment s’organiser ? Avec quels effectifs ? Les services vont-ils se coordonner correctement ? La préfecture de police de Paris organisait des réunions informelles avec les présidents de Versailles et de Paris afin de rassurer, mais la colère était palpable. Dans une note interne dévoilée le 7 décembre 2022, le président du tribunal judiciaire de Bobigny, Peimane Ghaleh-Marzban, et le procureur de la République de Saint-Denis, Éric Mathais ont partagé leurs préoccupations : « Le tribunal judiciaire n’a pas les moyens de ses ambitions et des charges qui seront les siennes dans la perspective des JO ». Le procureur de Paris d’alors, Rémy Heitz désormais procureur général près de la Cour de cassation, fait aussi partie de ceux qui ont douté du bon déroulement de ces JOP. La justice est déjà exsangue du traitement des affaires quotidiennes, comment pourrait-elle faire face à un surplus ? Lors de l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Paris, le 12 janvier 2023, le haut magistrat a appelé à « un indispensable renforcement des moyens humains » pour affronter « le plus grand événement sportif jamais organisé en France ». À Lyon, quelques mois plus tard, l’exaspération contre le manque d’effectifs et de moyens prend une nouvelle forme. Une partie du personnel du tribunal judiciaire, notamment des greffiers, a tourné le dos à l’ancien garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, venu pour l’installation d’un comité d’usagers évaluant le fonctionnement quotidien de la justice.

Des effectifs renforcés

Les renforts arrivent, assurent la Direction des affaires criminelles et des grâces et celle des services judiciaires. Trois ans après le cri d’alarme des professionnels de justice dans une tribune au Monde (Le Monde, 23 nov. 2021) après le suicide d’un de leurs collègues et un an après une grève historique, il ne pouvait pas en être autrement. Issu des États généraux de la justice, le plan d’action du 5 janvier 2023 prévoit 60 mesures dont l’affectation de nouveaux magistrats et le renfort d’agents contractuels pour les JOP. Au premier semestre 2024, 122 magistrats et 294 greffiers sont affectés en renfort dans les 20 juridictions concernées par cet événement. Des référents Jeux olympiques sont aussi nommés afin de faciliter l’organisation. Enfin de vrais moyens ? La présidente du TJ de Carpentras, Anne Deligny, en doute fortement. Sa juridiction tourne avec 9 magistrats du siège contre 14 en temps normal. Aucun juge en arrêt maladie ou en fin de contrat n’a été remplacé. « Si nous l’avions su, nous aurions candidaté pour accueillir les JO et pour organiser des épreuves de cyclisme sur le Ventoux ou celle du marathon autour des remparts », a-t-elle ironisé lors de la rentrée solennelle de son ressort, le 29 janvier dernier. Selon elle, l’année des Jeux Olympiques et Paralympiques serait celle de la « Justice oubliée en Province », pour renforcer les juridictions concernées par les JOP. Un peu plus loin en France, dans un ressort plus modeste, le ressenti est similaire. Le département des Vosges compte 362 000 habitants. Or, son tribunal judiciaire, à Épinal, va passer de 23 juges à 19 d’ici septembre. À Troyes, des magistrats ont aussi été déplacés pour l’été pour renforcer les juridictions d’Île-de-France. Dans cette partie de l’Hexagone justement, l’heure est plutôt à la satisfaction. Le parquet de Versailles a réussi à combler les postes vacants et a obtenu 3 magistrats placés en plus des 6 au siège. De plus, le tribunal judiciaire de Nanterre a accueilli 9 magistrats supplémentaires. « Le parquet de Bobigny bénéficie depuis septembre 2023 d’un surnombre de magistrats, sollicités pour anticiper les JO, portant l’effectif global à 63 contre 58 auparavant. Nous bénéficions actuellement de 4 magistrats placés permettant d’atteindre cet effectif de 63 magistrats. En outre, certaines audiences seront assurées cet été par des magistrats du parquet général. »

Anne-Laure Mestrallet, vice-procureur et secrétaire générale du parquet de Bobigny, explique : fait exceptionnel, un magistrat du parquet sera présent au poste de sécurité du Stade de France afin d’assurer le traitement immédiat des infractions commises dans l’enceinte sportive. Un autre poste de parquetier, intitulé « doublure JO » a aussi été spécifiquement créé pour coordonner la centralisation et la remontée d’informations entre les services. Celles-ci sont l’un des plus grands défis de tous les ressorts. Et pour cause : le volume de la délinquance liée à l’afflux des visiteurs est difficile à quantifier, mais toute une politique pénale a été pensée pour y faire face.

De nouvelles infractions

Une circulaire, publiée le 15 janvier 2024, détaille le dispositif judiciaire mis en œuvre pour les JOP. Elle concerne principalement les cours d’appel de Paris, Versailles, Aix-en-Provence, Bourges, Douai, Bordeaux, Lyon, Rennes et Papeete. Dans cette circulaire, il est demandé aux procureurs de faire preuve d’une « vigilance particulière » aux interdictions judiciaires de stade. Les intrusions dans une enceinte sportive ou sur un terrain de sport, commises en réunion ou en état de récidive sont plus sévèrement réprimées. « Les infractions commises à raison de l’orientation sexuelle, d’une religion ou de toute autre cause de discrimination, particulièrement les faits de menaces et de violences sexistes et sexuelles, l’utilisation de drones à des fins détournées, le survol d’un aéronef sur une zone interdite ou encore les fausses alertes à la bombe devront également faire l’objet d’une attention particulière », préconise la Chancellerie dans cette circulaire. Autre nouveauté, il sera interdit de brandir une banderole avec un message politique ou autre à l’intérieur des sites olympiques. Une politique pénale spécifique sur les contrefaçons de produits et la marque déposée des Jeux Olympiques a aussi été élaborée. De plus, les parquets devront gérer les demandes d’accréditations permanentes de dernière minute sans compter les infractions plus communes de vols, d’agressions et de dégradations de mobiliers urbains. Les permanences des juges pour enfants et juges des libertés et de la détention sont aussi intensifiées partout. La multiplication des contentieux relatifs aux étrangers en situation irrégulière et aux mineurs non accompagnés fait en effet partie des scénarios envisagés par les ministères de la Justice et de l’Intérieur. « Pour la période des JO, il s’agit de renforcer les plateaux de permanence des parquets et plus largement les services pénaux généraux des tribunaux judiciaires. Nous allons tripler les audiences de comparutions immédiates à Nanterre et les doubler à Versailles et à Pontoise », développe Marc Cimamonti, procureur général de la cour d’appel de Versailles. À Bobigny, une troisième chambre de comparutions immédiates est prête à siéger dans le tribunal judiciaire en complément de deux autres chambres et d’une chambre correctionnelle collégiale. Au total, 175 audiences pénales pourront se tenir cet été, soit 30 % de plus qu’un été ordinaire. De plus, des audiences de renvois de comparutions immédiates se tiennent trois après-midi par semaine depuis le 1er juillet.

Des compétences nationales

De son côté, le parquet de Paris traite « du haut du spectre », indique la circulaire. Pour les attaques « visant à causer un trouble grave à l’ordre public par le recours à des méthodes confinant à l’intimidation et à la terreur », le parquet national antiterroriste est le seul compétent. Le nouveau procureur antiterroriste, Olivier Christen, s’est d’ailleurs rendu à Marseille, le 14 juin, afin de rencontrer le procureur de la République, Nicolas Bessone. L’objectif de cette visite dans la Cité phocéenne qui accueillera 10 matchs de football au stade Vélodrome du 26 juillet au 6 août ? « Veiller à la bonne coordination des services ». En outre, des bonnes pratiques ont été échangées à propos de la lutte contre le dopage pour laquelle le parquet de Marseille est nationalement compétent. En complément, la section cybercriminalité du parquet de Paris est compétente sur tout le territoire. Le risque est pris très au sérieux. Déjà en juin dernier, les tentatives d’arçonnage par mail étaient quotidiennes. « L’un de nos principaux enjeux tient à ce que nos dispositifs soient opérationnels même en cas de cyberattaques. « Nous devons être capables d’assurer la permanence judiciaire même en cas de paralysie », confirme Marc Cimamonti. La procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, craint particulièrement des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, le « Stad ». En plus de ces compétences particulières, au tribunal judiciaire de la capitale, trois chambres de comparutions immédiates fonctionnent depuis le 8 juillet jusqu’au 25 août, du lundi au vendredi, au lieu d’une habituellement. Deux audiences de comparution de reconnaissance préalable de culpabilité se tiendront par jour contre une tous les deux jours en temps normal.

Prime et congés payés

D’ici le jour J, les juridictions tentent tant bien que mal d’écluser le stock des affaires en cours, dont les délais de traitement sont déjà interminables. « Jusqu’à présent nous essayons de mettre à jour les stocks de procédures pénales afin d’éviter de trop audiencer pendant les Jeux Olympiques », témoigne le procureur général de la cour d’appel de Versailles. Dans ces ressorts, il a fallu aussi penser la prise de congés de tout le personnel de justice. Pour le procureur de la république de Seine-Saint-Denis, Éric Mathais, qui compte dans son périmètre le Stade de France et le village des athlètes, il a fallu lister les besoins quotidiens envisagés entre le 26 juillet et le 11 août 2024. « Des projections ont été établies sur la base d’un planning élaboré en amont, permettant aux différentes divisions de s’organiser pour les congés des magistrats. À ce titre, des référents JO ont été désignés dans chaque section afin de permettre aux magistrats d’échanger en interne sur leurs désiderata et indisponibilités. Il n’y a pas eu de directive interdisant les congés sur la période, mais un effort collectif a été fait pour répartir la mobilisation sur l’été, avec davantage de congés pris en juin ou en septembre que les années précédentes. L’amplitude des vacances a également dû être réduite, imposant parfois de scinder les périodes de congés en deux, mais l’anticipation a permis d’aboutir à un taux de présence de plus de 70 % pendant les Jeux et d’un peu plus de 50 % sur les autres périodes d’été », détaille la secrétaire générale du parquet de Bobigny, Anne-Laure Mestrallet. Du côté de Paris, rien à signaler, tout le monde a pu poser ses congés comme il le souhaitait tout en tenant compte des impératifs de l’été. À Versailles, « aucun agent de la cour d’appel n’a été contraint à prendre ses congés. Nous avons modifié la règle des congés dans les tribunaux judiciaires avec un grand sens du service public des magistrats et fonctionnaires », précise le premier président de la cour d’appel. Pour une meilleure organisation, les décisions d’affectation des magistrats placés ont été anticipées fin février au lieu du mois d’avril. « Avec l’administration centrale, nous proposons des prestations sociales adaptées comme des places en crèche et en centres aérés pour les enfants du personnel de justice qui travaillera cet été », ajoute Jean-François Beynel.

Il n’en reste pas moins que la prime promise par l’ancienne première ministre, Elisabeth Borne, se fait attendre. Les personnels de justice ne font pas partie du décret et de l’arrêté publiés le 23 juin dernier (D. n° 2024-581, 21 juin 2024 et A. 21 juin 2024), entérinant le versement de ces primes à plusieurs catégories de fonctionnaires mobilisés. « Une prime a été annoncée il y a plusieurs mois, mais nous ne disposons d’aucune information sur ce sujet qui relève des directions du ministère », confirme Anne-Laure Mestrallet. Les policiers et les gendarmes pourront toucher de 1 000 à 1 900 € de prime et recevoir une indemnité de 50 € par nuit s’ils se déplacent au moins cinq jours pour des missions de sécurité ou en lien avec les JO.

Gestion du personnel et logistique

Une fois la gestion du personnel pensée - et ce très en amont cette année pour les tribunaux dont les villes ont accueilli la flamme olympique -, il a fallu s’assurer du bon déplacement des magistrats et fonctionnaires de justice. Tous disposent d’une carte professionnelle à jour, ce qui devrait être suffisant pour accéder à leur lieu de travail. Pour les avocats, le Conseil national des barreaux (CNB) a récapitulé les modalités dans plusieurs flashs infos et le barreau de Paris met à disposition un vademecum régulièrement actualisé. Là encore l’anticipation est de mise depuis avril. Pour se rendre en zone rouge, les avocats devront se munir d’un QR code comme tout autre justiciable. Si leurs domiciles ou cabinets se situent en zone bleue, il faudra simplement en justifier.

Penser des peines alternatives

Une difficulté reste préoccupante : la tension forte sur les capacités des établissements pénitentiaires déjà saturés. Le 12 avril dernier, le barreau des Hauts-de-Seine, aux côtés de ceux de Seine-et-Marne, d’Essonne, des Yvelines, de Seine-Saint-Denis, du Val de Marne, du Val d’Oise, de Chartres et d’Auxerre, a apostrophé le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, sur l’état des prisons. Selon les données de l’administration pénitentiaire, 95 292 personnes étaient incarcérées au 1er juin, pour 61 694 places. Les avocats suggèrent alors au ministère de mettre en œuvre des mesures similaires à celles prises lors de la crise de la Covid-19, c’est-à-dire la libération anticipée de détenus en fin de peine. Sans succès. Courant juin, c’est au tour du premier président de la cour d’appel de Versailles, Jean-François Beynel, d’interpeller la direction régionale de l’administration pénitentiaire sur les alternatives à l’incarcération ferme. Avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), il a été finalement décidé de privilégier les travaux d’intérêt général pour les délits les moins graves. Ces TIG ont une particularité : ils sont en lien avec les valeurs de l’olympisme. Au total 122 places de « TIG JO » sont mobilisables pour les TJ de Versailles, Nanterre et Pontoise. Ils prennent la forme, par exemple, d’accompagnements de clubs de football, d’actions de protection de la Seine, de secourisme et d’écocitoyenneté.

Enfin, étant donné le caractère international de l’évènement, « les besoins en interprètes devront être particulièrement anticipés afin de pouvoir assurer leur présence tout au long de la chaîne judiciaire », ordonne la circulaire. Dans cette optique, la cour d’appel de Paris a passé un contrat avec la chambre des interprètes et une école de traduction afin de disposer de traducteurs assermentés, sept jours sur sept pendant les JOR.


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