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Faut-il revoir la dualité fonctionnelle du Conseil d'Etat ?

By: LA SEMAINE JURIDIQUE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

EXTRAIT DE LA REVUE LA SEMAINE JURIDIQUE – ÉDITION ADMINISTRATIONS ET COLLECTIVITÉS TERRITORIALES N° 17. 27 AVRIL 2020

L'institution dans la tourmente de la crise sanitaire


POINTS CLÉS ➤ « Organe de labellisation juridictionnelle des décisions prises par le Premier ministre », « paratonnerre du Gouvernement », « allié des pouvoirs publics nationaux », « sorte d’auxiliaire de la police administrative », les termes acerbes à l’égard du Conseil d’État ne manquent en cette période de crise sanitaire ➤ Elle donne l’occasion, une fois encore, de réveiller la vieille critique de la dualité fonctionnelle de l’institution pour démontrer une susception de partialité du juge administratif

LA CRISE du coronavirus ne manque pas de réactiver l’intérêt que portent tout autant la doctrine universitaire que les citoyens à la juridiction administrative et plus particulièrement à l’organe qui en est au sommet sinon au coeur, le Conseil d’État.

Il lui revient en effet la tâche de contrôler, en cas de recours contentieux, les principaux actes pris dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, comprenant à ce jour la quarantaine d’ordonnances de l’article 38 de la Constitution, les décrets du Premier ministre et les arrêtés du ministre de la Santé.Gage d’une situation inédite, l’institution référence elle-même l’ensemble des décisions rendues en référé en lien avec l’épidémie sur son site interne.Ainsi y apprend-on qu’entre le 16 mars et le 17 avril 2020, 75 ordonnances ont d’ores et déjà été rendues, principalement par la voie du référé-liberté.

Dans cette période que d’aucun qualifierait d’exceptionnelle, il a été fait remarquer,non sans raison valable,que la Haute Juridiction de l’ordre administratif jugerait « de manière beaucoup trop laxiste et dégradée en faveur de l’exécutif » là où la situation de restriction des droits et libertés et de renforcement du pouvoir de l’exécutif nécessiterait un renforcement de son contrôle (P. Cassia, Le Conseil d’État et l’état d’urgence sanitaire : bas les masques !, médiapart, 11 avr. 2020).

Cette analyse se nourrit du constat suivant : toutes les demandes en référé ont été rejetées par le Conseil d’État à deux exceptions près, celle en date du 22 mars 2020, ayant conduit à un renforcement du confinement et celle du 17 avril limitant les pouvoirs des maires dans la lutte contre le virus (v. JCPA2020, 252). Ce rejet massif des requêtes a d’ailleurs conduit le Conseil d’État lui même à mener tout un processus de légitimation de ses propres décisions comme en atteste l’interview du vice-président de l’institution sur Europe 1 le 29 mars dernier. Et ce, dans le but de parer le réveil d’une vieille critique lancée dès le XIXe siècle contre lui par les libéraux qui le suspectaient de faire indûment bénéficier l’administration d’un traitement privilégié et ce, en raison de ce que l’on a coutume de nommer sa dualité fonctionnelle.

Juge et conseiller de l’exécutif, il serait l’allié des pouvoirs publics et participerait à la formation de la production de la fonction administrative tout en étant chargé de son contrôle. Ce double visage institutionnel conduirait inévitablement à certaines bizarreries, voire à certaines anomalies que les commentateurs de sa jurisprudence actuelle ne manquent pas de faire valoir (V. P. Roger, La « ligne de crête » du Conseil d’État en temps de crise du coronavirus, Le monde 15 avr. 2020). L’argument est bien connu : les regrets que l’on porte à une décision juridictionnelle du Conseil d’État souvent dictée par un contexte particulier et des problèmes irréductibles de temps, de moyens et de ressources conduisent à ressusciter systématiquement le spectre de cette vieille idée selon laquelle le juge administratif jugerait principalement selon les intérêts de l’administration parce qu’il en est structurellement ainsi. On convoque alors la modernité pour condamner ce reste institutionnel venant d’un autre âge, le résidu suranné d’une conception dépassée de l’État.

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