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Responsabilité Bancaire : Analyse de la Cour d'Appel de Limoges sur le Déclenchement de l'Alerte TRACFIN et l'Obligation de Vigilance

By: Loic Belleil

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE 

Par jugement du 1er février 2018, le tribunal correctionnel de Limoges a déclaré M. [N] [T] coupable de vols commis entre janvier 2015 et février 2017 au préjudice de son employeur, la société AJP. Statuant sur intérêts civils, la cour d'appel, par arrêt du 4 novembre 2020, a condamné M. [T] à payer à cette société la somme totale de 76 757,43 euros en réparation du préjudice. Après mise en demeure restée infructueuse, la société AJP a assigné la Caisse de crédit mutuel de [Localité 3] Centre (la banque), auprès de laquelle M. [T] avait ouvert plusieurs comptes, devant le tribunal judiciaire de Limoges pour la voir condamner à lui payer 50 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, en lui reprochant au visa des articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier et 1240 du code civil, d'avoir manqué à ses devoirs de vigilance et de surveillance, pour ne pas avoir détecté des anomalies apparentes dans le fonctionnement du compte de son client. La banque s'est opposée à cette prétention et elle a formé une demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive. Par jugement du 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire a :  

- débouté la société AJP de son action après avoir retenu que si la banque a effectivement commis une faute en ne décelant pas des anomalies apparentes dans le fonctionnement du compte de son client, ce manquement était sans lien de causalité direct avec le préjudice subi par cette société ;  

- rejeté la demande de dommages-intérêts de la banque pour procédure abusive. La société AJP a relevé appel de ce jugement. 

POSITION DE LA COUR D’APPEL   

« …Il est constant que M. [T] était client de la banque auprès de laquelle il avait ouvert six comptes sur lesquels il a déposé des fonds, dont certains correspondaient à des remises de chèques et des virements en lien avec les vols qui lui sont reprochés.  

Les articles L.561-2 et suivants du code monétaire et financier, dans leur rédaction en vigueur à la date des opérations bancaires litigieuses, fixent des limites au secret bancaire et au devoir de non- ingérence du banquier dans les affaires de son client, en mettant à la charge des organismes financiers une obligation de vigilance et d'alerte ayant pour finalité de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, ainsi que, plus généralement, la commission d'infractions pénales.  

Outre le fait que l'article L.561-10-2 du code précité fait obligation au banquier de procéder à un examen renforcé de toute opération particulièrement complexe ou d'un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d'objet licite, en se renseignant le cas échéant auprès du client sur l'origine des fonds et leur destination, l'article L.561-15 de ce même code lui impose de déclarer au service mentionné à l'article L. 561-23 les sommes inscrites dans ses livres ou les opérations portant sur des sommes dont il sait ou soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme.  

Il résulte de ces textes que les obligations de secret bancaire et de non- ingérence dues au client par le banquier ne cèdent que lorsque ce dernier découvre, à l'occasion du fonctionnement du compte, des anomalies caractérisant ou faisant soupçonner l'origine frauduleuse des fonds déposés.  

En l'occurrence, la pluralité de comptes ouverts par M. [T] auprès de la même banque -six comptes dont trois correspondent à des placements financiers (livret bleu, livret d'épargne populaire et plan d'épargne logement)- n'est pas en elle-même constitutive d'une anomalie.  

Pour soutenir l'existence d'anomalies apparentes qui auraient dû éveiller les soupçons de la banque et déclencher son obligation d'alerte auprès du service TRACFIN, la société AJP fait état du fonctionnement suspect des comptes bancaires de M. [T] entre août 2015 et novembre 2016 :  

- dépôts multiples de sommes importantes, disproportionnés au regard du salaire de l'intéressé, - récurrence des tireurs des chèques,  

- virements par 'Paypal',  

- retraits de sommes importantes.  

Les dépôts litigieux sur la période précitée correspondent à 62 remises de chèques, outre cinq virements par 'Paypal'.  

Le rapprochement du montant des dépôts avec le salaire mensuel de M. [T] (1 222 euros par mois) apparaît dépourvu de pertinence en l'absence de toute corrélation obligatoire entre les deux termes de la comparaison. ……. 

En définitive, et même en appréhendant le fonctionnement du compte bancaire dans sa globalité, on doit considérer, au vu de ce qui précède, que la banque ne s'est pas trouvée confrontée à une anomalie apparente pouvant laisser suspecter l'origine frauduleuse des fonds déposés par le client et justifier le déclenchement d'une alerte auprès de TRACFIN. Juger autrement dans un tel cas d'espèce reviendrait à imposer une mission générale d'investigation au banquier dans tous les cas où il serait confronté à une opération considérée comme 'anormale' au regard du train de vie réel ou supposé d'un client et à créer un climat de suspicion et d'insécurité incompatible avec les exigences de sérénité et de confiance qui doivent présider dans la vie des affaires.  

Par ces motifs tirés de l'absence de faute de la banque, le jugement déféré sera confirmé.» 

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION  

Pour la cour d’appel de Limoges la banque n’a commis aucune faute en ne déclarant pas au TRACFIN les opérations que le demandeur estimait suspectes. 

Le tribunal judiciaire de Limoges avait jugé le 15 septembre 2022 que si la banque avait commis des fautes, la causalité avec le préjudice subi par la société faisait défaut. 

Dont acte mais était-ce la véritable question ? 

Nous ne le pensons pas car la question de l’action elle-même se posait. Un client ou comme en l’espèce un tiers peut-il reprocher à un organisme bancaire de ne pas avoir respecté la réglementation sur le blanchiment d’argent ? 

A cette question la jurisprudence a apporté une réponse constante : Cassation commerciale 21 septembre 2022 – 21-12335 et CA CAEN 10 février 2022 RG 20/02437- CA Paris 15 e B 21 décembre 2007 RG 03/01917 – et CA Paris 10 novembre 2005 CA Lyon 26 octobre 2006 CA Amiens 12 octobre 2004. Cassation commerciale 10 mai 2010 – 09-15237 – 

Il appartient aux organes de contrôle de sanctionner éventuellement l’organisme qui ne respecte pas ses obligations en matière de déclaration TRACFIN. 

La formulation est souvent identique : « Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme…… » Cassation commerciale 21 septembre 2022 précitée. 

Pour autant le demandeur fondait son action également sur l’obligation générale de vigilance de la banque et ce au visa de l’article 1240 du code civil et la cour a choisi de répondre sur ce point. 

Il est vrai que la nuance entre le reproche fondé sur les textes sur le blanchiment d’argent et ceux sur l’obligation de vigilance de la banque est ténue. 

 

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