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Prévention ou procédure collective : quel choix pour le chef d'entreprise ?

By: Christophe Delattre, docteur en droit, substitut général cour d'appel de Douai, magistrat inspecteur régional

Constat.

Nous sommes depuis quelque temps sous l’ère de la prévention. Il ne se passe une rentrée solennelle de tribunal de commerce où le président ne dresse pas, à juste titre, le bilan des mesures préventives ouvertes avec le nombre de salariés concernés et sauvés. Si la prévention a démontré son utilité par ses atouts indéniables (souplesse, célérité, confidentialité), on ne peut toutefois
y être favorable que si son ouverture repose sur le respect du cadre légal (pas de cessation des paiements supérieure à 45 jours dans l’hypothèse d’une conciliation) ce qui n’est pas toujours le cas
comme a pu le rappeler une jurisprudence récente (V. CA Douai, ch. 2, sect. 2, 18 janv. 2024, n° 20/02703 : Rev. proc. coll. 2024, comm. 40, note Ch. Delattre ; Act. proc. coll. 2024, alerte 74).
Favoriser la prévention et inciter les dirigeants à anticiper plus rapidement le traitement de leurs difficultés pourrait aboutir à une augmentation des mesures préventives (V. S. Preville (président de
l’IFPPC), Le mandat ad hoc et la conciliation restent encore insuffisamment utilisés : Actu-Juridique.fr 19 avr. 2024).

Les mesures préventives sont-elles toujours adaptées ?

Une mesure préventive n’est pas adaptée à toutes les situations des entreprises qui rencontrent des difficultés financières et ne disposent pas de trésorerie. Dès lors que leur utilité n’est pas toujours
démontrée, se pose alors une question : faut-il s’orienter coûte que coûte vers la prévention ou alors préférer la procédure collective ?
Cette dernière a également des intérêts certains : gel de l’ensemble du passif antérieur ; arrêt des poursuites individuelles ; permettre à l’entreprise de se reconstituer une trésorerie pour étaler son passif sur10 ans (ou 15 ans pour les agriculteurs) tout en permettant un remboursement adapté selon ses capacités financières et, enfin, mieux contrôler la rémunération des professionnels désignés, ce qui
est beaucoup plus aisé en procédure collective puisqu’elle repose sur un dispositif légal contrairement à la prévention où la rémunération repose sur un accord contractuel entre le professionnel et l’entreprise dont on sait que le dirigeant n’a pas toujours de marge de manoeuvre.

À cela s’ajoute l’impossibilité de peser sur le contrôle de la rémunération des conseils des créanciers qui interviennent à la conciliation (V. la règle des 75 %des honoraires de conseil auquel le
créancier a fait appel, C. com., art. L. 611-16. – Et A. 25 juill. 2014,pris pour la fixation de la quote-part mentionnée à l’article L. 611-16 du Code de commerce).

Mandat ad hoc, conciliation ou procédure collective ?

Le choix de la procédure adaptée à la situation de l'entreprise est primordial en ce qu'il permet de traiter efficacement les difficultés. 
Recourir à une procédure préventive inadaptée aux difficultés rencontrées risque de retarder le traitement et ponctionner inutilement la trésorerie de l'entreprise. 
Au surplus, la pratique a mis en évidence l'existence d'honoraires parfois démesurés tandis qu'in fine l'issue est la liquidation judiciaire ! 
Enfin, ce retard à un traitement adapté hypothèque les chances de sauvetage ultérieur.

 Faut-il s'obstiner à ouvrir des procédures préventives inadaptées ?

La prévention est une procédure limitée dans le temps dont l'objectif est de permettre de passer le cap délicat rencontré par une entreprise fragilisée. Si l'on peut admettre qu'un mandat ad hoc puisse être suivi d'une conciliation pour finaliser les négociations compliquées aux fins d'obtenir un protocole de conciliation, on ne peut passer sous silence une dérive constatée par le recours à de multiples mesures préventives qui se succèdent. Quand on constate un cumul de 5, 6 voire 7 procédures préventives (ou plus...), il semble évident qu'elles ne sont pas adaptées à la problématique de l'entreprise. Alors pourquoi s'obstiner dans la prévention qui n'a pas démontré son utilité tout en étant très, trop coûteuse par la pratique parfois d'honoraires excessifs, voire démesurés ?
La pratique de l'ouverture d'une procédure préventive contra legem doit être abandonnée. À cela, s'ajoute un constat qu'il faut oser dire au dirigeant : cumuler des mesures préventives inefficaces contribue à favoriser la poursuite d'une activité déficitaire et peut engendrer des sanctions à son encontre puisque cela constitue une faute de gestion.

Quel rôle pour le président ?

Les procédures préventives sont des procédures judiciaires dès lors qu'elles sont ouvertes sur intervention d'un juge professionnel ou consulaire. Les présidents doivent donc veiller au respect du cadre légal. Partant de ce principe, ils ne doivent pas hésiter à refuser d'ouvrir une conciliation si les conditions ne sont pas réunies.
De même, un président doit refuser l'ouverture d'une procédure de conciliation si le choix du professionnel envisagé ne présente pas les garanties suffisantes pour mener à bien la mission envisagée mais également si les honoraires envisagés sont trop élevés.
Un autre outil peut consister à vérifier le ratio entre ouverture d'une conciliation et aboutissement à un accord (constaté ou homologué). Le faible taux d'accord peut mettre en évidence que certaines procédures ne sont pas ouvertes à bon escient.

Quel rôle pour le ministère public ?

Ce contrôle présidentiel indispensable avant l'ouverture est parfois défaillant ou inexistant. C'est pour cette raison que le ministère public « prend la main » à l'occasion de son avis sur la rémunération du conciliateur dont la désignation est envisagée en application des dispositions de l’article R. 611-47-1 du Code de commerce. Il sollicite à ce titre la communication des pièces prévues et/ou complémentaires avant de donner son avis sur la rémunération. 
Ce contrôle présidentiel indispensable avant l’ouverture est parfois défaillant ou inexistant. C’est pour cette raison que le ministère public « prend la main » à l’occasion de son avis sur la rémunération du conciliateur dont la désignation est envisagée . Il sollicite à ce titre la communication des pièces prévues et/ou complémentaires avant de donner son avis sur la rémunération. La jurisprudence a considéré que le ministère public était parfaitement dans son rôle à ce stade afin d’éviter les dérives constatées (CA Toulouse, 2e ch., 11 juill. 2018, n° 18/01977. – CA Toulouse, 2e ch., 11 juill. 2018, n° 18/01978 : JurisData n° 2018-012732. – Et CA Toulouse, 2e ch., 11 juill. 2018, n° 18/01980. – Ch. Delattre, Le ministère public, véritable organe de contrôle de l’ouverture d’une conciliation : JCP E 2018, 1413). Enfin, le parquet évite souvent une instrumentalisation de la prévention (Ch. Delattre, Quand le ministère public est le rempart à l’instrumentalisation et au dévoiement de la prévention : Rev. proc. coll. 2022, focus 16).

Le point de vue d’une professionnelle.

- Un administrateur judiciaire a déclaré que parfois, il faut mieux s’orienter vers un redressement judiciaire car la prévention n’est pas possible ou alors inadaptée à la situation de l’entreprise fragilisée. Passé ce constat, la professionnelle est arrivée à la conclusion suivante : « Quand un outil a fait ses preuves depuis près de 40 ans, c’est qu’il est bon. C’est le cas du redressement judiciaire ». Selon cette professionnelle : « Il est de bon ton dans notre milieu du restructuring de braquer le projecteur sur les mesures de prévention. Leurs mérites sont indéniables : confidentialité, rapidité d’action (la crise est souvent résolue façon task force en moins de 6 mois), et un taux de succès qui frôle les 70 à 75 % suivant les années. Elles sont réputées moins traumatisantes pour le dirigeant d’entreprise et plus créatives pour les praticiens ; là où le redressement judiciaire peut être vécu comme un carcan, la prévention laisse une large place à la négociation et au sur mesure » (J. Lavoir, Prévention ou procédures collectives, savoir choisir sa procédure : revue Décideurs stratégie, réorganisation et restructuring 2023, p. 11).

L’engouement parfois excessif pour les procédures préventives.

-La professionnelle poursuit en mettant en garde afin que cet engouement pour la prévention n’alimente pas une forme de snobisme ce qui aurait pour conséquence de détourner les praticiens et les entrepreneurs des procédures collectives, jugées moins nobles, mais selon elle, plus efficaces. Tout en admettant que le redressement judiciaire est plus rudimentaire et ne fait pas rêver, elle ajoutait : « Il faut rappeler que les procédures préventives sont inefficaces, et même dangereuses, quand l’insuffisance de trésorerie est trop marquée et entrave l’activité quotidienne. De la même manière, et contrairement à une idée trop répandue, ces procédures ne gèlent rien par elles-mêmes et ne doivent pas être utilisées pour faire du dilatoire et retarder des paiements en l’absence de stratégie claire ». Et la professionnelle de conclure : « Il est donc important de faire aussi la promotion du redressement judiciaire qui n’est pas un échec ou une sous-procédure mais tout simplement une technique différente de résolution des difficultés, comportant de nombreux avantages, au premier rang desquelles sa simplicité d’utilisation et sa robustesse. Ajoutons que dans un contexte d’inflation galopante, la
faculté de rembourser son passif en dix ans sans intérêts redevient bien plus attractive qu’en période de taux bas ».

Cette réflexion n’est pas un plaidoyer pour le redressement judiciaire. -

Sans faire ici la promotion du redressement judiciaire, il nous semble important de rappeler que le mandat ad hoc et la conciliation ne sont pas forcément la solution miracle. Le chef d’entreprise et ses conseils doivent s’interroger sur le choix de la procédure utile aux besoins de l’entreprise sans s’obstiner à recourir à la prévention.

Le demandeur est-il réellement informé des conséquences du recours à la prévention ?

- La pratique permet de constater une méprise chez certains chefs d’entreprises qui pensent que le bénéfice d’une procédure de mandat ad hoc et de conciliation les place sous surveillance du président du tribunal qui a ouvert la mesure, des professionnels de l’insolvabilité désignés et les protège juridiquement. En prévention, ils demeurent à la tête de l’entreprise et doivent répondre de leurs fautes de gestion en cas de procédure collective subséquente qui peuvent leur être potentiellement reprochées dès lors que le recours à la prévention est un acte de gestion. Or, ils ne comprennent pas les procédures de sanctions engagées à leur encontre en liquidation judiciaire. Leur premier argument est de préciser qu’ils ont géré en bon père de famille en ayant recours à la prévention ce qui devrait, selon eux, les exonérer de toute responsabilité.
Cet argument ne peut prospérer puisque la désignation d’un mandataire ad hoc ou d’un conciliateur ne prive pas le dirigeant de la société débitrice de l’exercice de ses pouvoirs et ne le
dispense pas de ses obligations légales notamment de régulariser une déclaration de cessation des paiements dans les délais impartis (Cass. com., 17 juin 2020, n° 19-10.341 : JurisData n° 2020-008534 ; Rev. proc. coll. 2020, comm. 141, note Ch. Delattre. – V. également, Cass.com., 18 mai 2016, n° 14-16.895 : JurisData n° 2016-011556 ; Rev. proc. coll. 2016, comm. 199, A. Martin-Serf ;
Rev. proc. coll. 2016, comm. 160, Ch. Delattre. – Cass. com., 10 mai 2005, n° 04-11.554 : JurisData n° 2005-028463).

Conclusion.

L’ouverture d’une procédure préventive n’est pas sans conséquences pour le demandeur en termes de responsabilité. Ce point semble parfois ignoré par ce dernier. Cela tend à démontrer
qu’il n’a peut-être pas eu toutes les informations utiles lors de l’entretien de prévention et par ses conseils. C’est de la responsabilité du président d’être particulièrement clair sur ce point avec le dirigeant. La prévention n’est pas une parade à une demande de sanction.
Ainsi, la demande et l’obtention d’une procédure préventive sont un acte de gestion avec de potentielles conséquences en termes de sanctions (CA Douai, ch. 2, sect. 2, 18 janv. 2024, n° 20/02703,
préc. : Rev. proc. coll. 2024, comm. 40, note Ch. Delattre ; Act. proc. coll. 2024, alerte 74). Le dirigeant doit garder cet aspect en tête. La prévention oui... mais pas hors cadre légal.

Article issue de la REVUE DES PROCÉDURES COLLECTIVES. - S'abonner ici 

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