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Le droit de se taire lors des visites domiciliaires de l'AMF - Veille par Frédéric Peltier

By: Frédéric Peltier

Certains arrêts du Conseil constitutionnel posent des limites aux articles de loi qu'ils ne sanctionnent pas. L'arrêt rendu le 21 mars 2025 est de cette espèce (Cons. const., 21 mars 2025, n° 2025-1128 QPC : JurisData n° 2025-003339).

L'article L. 621-12 du Code monétaire et financier prévoit que les enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers peuvent demander des explications aux personnes sollicitées lors des visites domiciliaires. C'est cette disposition qui a fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité pour déterminer s'il n'y avait pas lieu de préciser que lesdites personnes ont le droit de se taire.

Le droit de se taire est un principe constitutionnel qui résulte de l'article 9 de la DDHC : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». C'est aussi l'une des garanties protégées par l'article 34 de la Constitution.

Tout en déclarant l'article de loi contesté conforme à la Constitution, la décision du Conseil constitutionnel se défend d'apporter une restriction à l'application de ce principe fondamental du droit de se taire ou de ne pas s'auto-incriminer. En effet, pour le Conseil constitutionnel, le recueil des explications visé à l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier ne permet pas à l'AMF de solliciter des explications d'une personne sur les faits pour lesquels elle serait susceptible d'être mise en cause. Dès lors, l'AMF ne peut en aucun cas poser une question auto incriminante à une personne lors de ses visites domiciliaires. Elle n'est donc pas contrainte de notifier le droit au silence à cette personne.

Néanmoins, dans la pratique, force est de constater que la frontière entre la question nécessaire à l'enquête et celle qui pourrait s'avérer incriminante est aussi ténue que floue si la personne sollicitée par l'AMF est susceptible d'être mise en cause. Il y a deux lectures possibles de cette décision des gardiens de la Constitution.

Les puristes de la protection des libertés fondamentales y verront une exception dangereuse à la protection d'une garantie fondamentale. Laisser l'initiative aux enquêteurs de poser des questions dans le cadre d'une mesure d'instruction coercitive, sans apporter la protection du droit de se taire, crée un danger. Comment s'assurer que la personne sollicitée telle que visée par le texte de loi non seulement n'est pas une personne susceptible d'être poursuivie, mais également que la question posée ne puisse pas conduire à l'incriminer si elle y répond ? L'opportunité du choix de se taire ne doit pas être optionnelle en fonction de la nature de la question, elle doit être absolue pour celui qui bénéficie de ce droit.

Une vision plus souple des droits de la défense pourra en revanche voir dans cette décision rappelant que les explications sollicitées par l'AMF ne peuvent pas conduire une personne susceptible d'être mise en cause, une protection forte. Il résulte de la déclaration de constitutionalité de l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier que c'est sur l'AMF que pèse l'obligation de respecter la Constitution. Ses enquêteurs doivent limiter strictement leurs questions lorsqu'ils s'adressent à une personne qu'ils suspectent.

En tout état de cause, et en dépit de la déclaration de constitutionalité rendue par la décision du 21 mars 2025, le droit de se taire n'est en aucun cas neutralisé si la personne dont l'AMF veut recueillir des explications considère que la question appelle une réponse qui pourrait l'auto-incriminer. Si l'AMF outrepasse les limites imposées par la Constitution aux demandes d'explications qu'elle peut solliciter dans le cadre de ses visites domiciliaires, elle ne pourra tout à la fois pas sanctionner un refus de répondre et encourir la nullité de sa procédure pour non-respect du principe fondamental du droit de se taire. Une question incriminante sans notification préalable du droit au silence est un risque procédural qui pèse sur l'AMF.

C'est au contrôle juridictionnel du respect de la limite posée à l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier par le Conseil constitutionnel qu'il revient donc de faire appliquer le droit de se taire que cette décision n'a à notre sens pas écorné.


Veille à retrouver dans la Semaine Juridique Edition Générale #16 - 17


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