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Secret professionnel vs. Droit à la preuve

By: Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique de Case Law Analytics.

FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE

Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 10 mai 2022), le 15 juillet 2010, M. [C], avocat inscrit au barreau de Toulouse (l'avocat) a conclu avec la société Opti'Cotis (la société) une convention de prestations juridiques.

Le 19 mars 2019, la société, soutenant que l'avocat avait commis un détournement de clientèle et une rétention de dossiers, a déposé plainte pour abus de confiance. Le 24 septembre 2019, la convention a été résiliée à l'initiative de l'avocat.

Par ordonnance du 8 octobre 2020, le président d'un tribunal judiciaire, saisi d'une requête de la société sur le fondement des articles 145, 845 et 846 du code de procédure civile, a désigné un huissier de justice, avec mission de se rendre au cabinet professionnel de l'avocat et de procéder, avec l'aide éventuelle d'un expert informatique, notamment, à la recherche de documents et correspondances de nature à établir les faits litigieux, les copies réalisées devant être séquestrées entre les mains de l'huissier de justice. L'ordonnance a été exécutée le 13 novembre 2020.

Le 20 novembre 2020, l'avocat a assigné la société en rétractation de cette ordonnance, opposant le secret professionnel.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

« Vu l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 145 du code de procédure civile, 66-5, alinéa 1, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats :

Le droit à un procès équitable, garanti par le premier de ces textes, implique que chaque partie à l'instance soit en mesure d'apporter la preuve des éléments nécessaires au succès de ses prétentions.

Aux termes du deuxième de ces textes, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Constituent des mesures légalement admissibles, au sens de ce texte, des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi.

Si, selon le troisième de ces textes, le secret professionnel couvre en toutes matières, dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier, il est institué dans l'intérêt du client ayant droit au respect du secret des informations le concernant et non dans celui de l'avocat.

En application du quatrième de ces textes, l'avocat ne peut commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel, à moins qu'il n'assure sa propre défense devant une juridiction.

Il s'en déduit que le secret professionnel de l'avocat ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures d'instruction sollicitées, destinées à établir la faute de l'avocat, sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en oeuvre avec des garanties adéquates.

Pour rétracter l'ordonnance sur requête, l'arrêt retient qu'aucun texte n'autorise la consultation ou la saisie des documents détenus par un avocat au sein de son cabinet en dehors de la procédure prévue à l'article 56-1 du code de procédure pénale et que le juge a autorisé des mesures sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile qui ne sont pas légalement admissibles en ce qu'elles portent atteinte au secret professionnel des avocats.

En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.»

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

Cet arrêt se situe dans une longue lignée de précédents jurisprudentiels depuis plus de dix ans et couvrant des domaines très différents. Citons l’arrêt de la chambre criminelle en dater du 16 juin 2011 – 10-85079 – qui rejette le pourvoi dirigé contre un arrêt qui avait validé « .. la production de documents dont une personne avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et dont la production était strictement nécessaire à l’exercice de sa défense dans la procédure prud’hommale qu’il a engagée… ». Même position de la première chambre civile en date du 5 avril 2012 – 11-14177 – dans une affaire qui mettait en cause la production d’une missive trouvée dans une succession d’un parent par alliance « attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision… »

Le domaine bancaire n’échappe pas à cette évolution notamment quand la chambre commerciale en date du 29 novembre 2017 – 16-22060 fait prévaloir les intérêts d’une entreprise en liquidation judiciaire dans son litige qui l’oppose à son banquier qui tentait de se protéger derrière le secret professionnel auquel est astreint. Dans le même sens Cassation commerciale 23 octobre 2019 – 18-15280 –

Depuis nous savons qu’une assemblée plénière est venue en date du 22 décembre 2023 – 20-20648 circonscrire avec beaucoup de précisions et de nuances, les cas dans lesquels ces preuves « litigieuses » peuvent être admises  « …Aussi, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi…. »

Dans la présente décision les magistrats ont adapté leur motivation en fonction des éléments factuels mais la philosophie est la même : « dès lors que les mesures d'instruction sollicitées, destinées à établir la faute de l'avocat, sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve du requérant, proportionnées aux intérêts antinomiques en présence et mises en oeuvre avec des garanties adéquates… »

Le droit à la preuve prime donc, sous certaines conditions, les autres droits et l’on demande aux juges d’arbitrer entre les intérêts antinomiques en présence sans que pour autant il puisse se saisir d’office. Lourde tâche et lourde responsabilité.

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