01 Feb 2024

Rapport - Promotion du Role de l'Avocat

Contexte

Fruit de nombreux mois de travail en partenariat avec la Chaire d'excellence CNRS Normandie pour la paix (« Chaire »), en la personne d'Émilie Gaillard, directrice et coordinatrice générale, la commission Prospective et Innovation a présenté, lors de l'assemblée du Conseil national des barreaux (CNB), le vendredi 10 mars 2023, un rapport et une résolution portant sur la promotion du rôle de l'avocat dans le droit des générations futures (CNB, AG, rapp. et rés., Promotion du rôle de l'avocat dans le droit des générations futures, 10 mars 2023).

Ce rapport a pour ambition de faire prendre conscience du rôle actif et du positionnement que l'avocat peut jouer dans la pratique et l'appréhension du droit des générations futures et d'inviter l'ensemble de la profession à s'en saisir.

Expertise

A. - Les prémices des travaux : les États généraux de la Prospective et de l'Innovation

La commission Prospective et Innovation du CNB a pour ambition de faciliter l'adaptation des avocats aux évolutions sociétales, juridiques et technologiques mais également d'anticiper l'avenir pour mieux le construire ensemble et en rester maître. Elle pense la vision de l'avocat de demain face aux grands enjeux identifiés par la profession (V. États généraux de la Prospective et de l'Innovation, l'avocat en 2050 : de la science-fiction à l'action : Cité de l'Espace de Toulouse, 2 déc. 2021. – V. en ce sens RPPI 2021, numéro 1 ; égal. É. Gaillard, Injustices environnementales : nouvelles missions pour l’avocat en 2050 ? : RPPI 2021, étude 17). De nombreux travaux ont d'ores et déjà été initiés en ce sens durant cette mandature. Il en va ainsi des travaux destinés à faire prendre conscience aux avocats des compétences qu'ils doivent acquérir pour s'adapter au monde de demain. Surtout, les réflexions menées sur l'avenir de la profession d'avocat lors des États généraux de la Prospective et de l'Innovation (« EGPI »). À cette occasion, Emilie Gaillard a présenté les travaux menés par la Chaire sur la reconnaissance du droit des générations futures et une tendance forte a émergé : celle d'un droit qui protège les générations futures, ce qui modifierait la conception de la norme et du droit et qui conférerait à l'avocat un rôle de vigie tout particulier (V.M. Brousseau-Navarro, Au Pays de Galles, le développement durable et de la protection des générations futures érigés en obligation légale : RPPI 2022, étude 13).

B. - La collaboration entre le CNB et la Chaire d'excellence CNRS Normandie pour la Paix

À l'issue des EGPI, la commission Prospective et Innovation du CNB a conclu un partenariat avec la Chaire d'excellence CNRS Normandie pour la paix, dispositif innovant lancé en 2019 à l'initiative de la région Normandie, du cabinet du président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'université de Caen qui se consacre à la recherche juridique dans le domaine de la paix et de l'environnement, afin d'oeuvrer en commun à la production d'un rapport et une résolution sur le thème du droit des générations futures.

Plus précisément, la commission s'est attachée dans ce rapport à dessiner les contours de la mission de l'avocat défenseur des droits et intérêts des générations futures, tant en matière d'environnement, de santé, de bioéthique que de numérique. Il s'agit aussi pour le CNB, dans le cadre de ce partenariat, de collaborer avec la Chaire. Cette collaboration a débuté à Caen le 2 septembre 2022 avec la participation du CNB à l'Université d'Été de la Chaire (programme et vidéos) et se poursuivra auprès de l'American Bar Association à New-York ou encore à l'occasion du Sommet mondial de l'avenir qui se tiendra en septembre 2024 à l'initiative du secrétaire général des Nations Unies (ce Sommet portera sur la question de la protection, de la représentation et de la défense du long terme et plus spécifiquement des générations futures. V. en ce sens les modalités définies par les NU).

C. - L'ambition de la commission Prospective et Innovation du CNB : renouveler, enrichir et questionner le rôle de l'avocat au regard du droit des générations futures

Le CNB est particulièrement attaché aux principes, droits et devoirs fondamentaux – tant individuels que collectifs – et à la nécessité d'assurer la protection des droits des générations passées, présentes et futures. Le CNB l'a d'ailleurs montré à travers les différents engagements pris depuis quelques années en lien avec les générations futures, comme la Déclaration universelle des droits et devoirs de l'humanité signée le 16 juin 2017, que le CNB a été l’un des premiers à adopter (CNB, délib. pour l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'humanité, AG, 16 juin 2017 :). Dans la continuité de ces engagements, la commission Prospective et Innovation a souhaité s'engager en faveur des générations futures. Pour ce faire, la commission a travaillé à la production d'un rapport entre mai 2022 et janvier 2023 et a entendu à cette occasion plus de 18 personnalités françaises et internationales pour envisager les conséquences liées aux multiples transformations que la notion de générations futures peut produire sur le droit et son exercice, et les enjeux associés pour la profession d'avocat.

Cette notion de générations futures qui est au centre des objectifs du développement durable à l'horizon de l'agenda 2030, invite à changer d'échelle dans la manière de penser et de pratiquer le droit. Ce dernier n'apparaît plus uniquement sous les traits d'un simple instrument de régulation des échanges entre des générations actuelles, mais aussi comme un véritable moyen d'anticipation et d'engagement au profit des générations futures, dans lequel l'avocat a toute sa place. En un mot, le droit des générations futures peut se définir comme un ensemble de règles enjoignant au présent de ne pas obérer le futur. Dans un monde où les générations passées, présentes et futures sont liées, comment concilier aujourd'*** et demain ? Comment protéger l'avenir sans le rétrécir, sans craindre les innovations ni freiner les audaces mais en conscientisant les enjeux ?

Dans ce rapport, la commission met en exergue une approche pratique et pragmatique en proposant un jeu d'influence réciproque entre une approche préventive, qui repose sur une analyse de risques, et une approche judiciaire, plus classique, qui permet une action en justice pour défendre ces droits des générations futures. Dans la majorité des cas, l'approche préventive paraît préférable. Dans ce cadre, le droit des générations futures doit être mis en oeuvre par la compliance, et de manière plus générale, des mécanismes relevant de la « soft law ». Ce droit repose sur deux techniques connues, et oblige à un travail transverse et collaboratif : la cartographie des risques et les audits de conformité. L'enjeu est d'opérer une transformation profonde des acteurs publics afin que les politiques publiques soient des politiques d'anticipation, mais également des acteurs privés afin que certaines entreprises repensent leur modèle économique (ex.les entreprises pétrolières). Dans ce cadre, l'avocat joue un rôle essentiel de tiers de confiance, de conseil et d'accompagnement mais également d'auditeur pour évoquer les politiques et stratégies. À titre d'illustration, prenons l'exemple des obligations de publication d'informations en matière de durabilité prévues par la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive : PE et Cons. UE dir. 2022/2464, 14 déc. 2022, modifiant le règl. (UE) n° 537/2014 et les dir. 2004/109/CE,2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises) : dans ce cadre, l'effectivité du droit des générations futures et leur exercice permettra un changement d'échelle, une radiation bien plus large encore, pas seulement par les entreprises de plus de 500 salariés mais par l'ensemble du tissu économique et social, et entraînera par là même occasion, une extension de l'activité de l'avocat.

Mais l'approche préventive n'est pas toujours suffisante : pour certains cas, en raison de leur degré d'urgence et/ou de la gravité de leurs conséquences, l'approche judiciaire est nécessaire. Dans ce cadre, la consécration d'un droit des générations futures est alors essentielle pour servir de fondement juridique à une action en justice. Cette action en justice est alors vecteur de prise de conscience pour amener le changement nécessaire et intéresse la société dans son ensemble.

Toutefois, il est essentiel de veiller à l'adaptabilité et la réversibilité des décisions prises et à faire preuve de mesure, de proportion dans la sanction des atteintes, les générations futures ne devant être liées par les décisions des générations actuelles. À cette occasion, l'avocat joue son rôle de défense des générations futures et des acteurs du présent. À l'issue de toutes ses réflexions, la commission Prospective et Innovation du CNB invite les avocats, les pouvoirs publics et les entreprises à se saisir du droit des générations futures. Pour y parvenir, il est nécessaire que les États et l'État français consacrent dans leurs droits nationaux ou régionaux des droits des générations futures ; et pour lequel dans leur mise en oeuvre, le rôle des avocats paraît essentiel.

©LEXISNEXISSA


Cet article a été initialement publié dans la Revue Pratique de la prospective et de l'Innovation - N° 1 Mai 2023