02 Feb 2024
Les 10 points clés de la réforme du droit des sûretés
Eran CHVIKA,
avocat associé, Pinsent Masons LLP,
docteur en droit, LL.M. Harvard Law School
Elisa VASSEUR,
juriste, Pinsent Masons LLP
1. Naissance d’un collectif d’avocats
La réforme, prise en application de l’article 60 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises 1, simplifie et modernise le droit des sûretés. Elle renforce son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants. L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés 2 a été publiée au Journal officiel du 16 septembre et entrera en vigueur le 1er janvier 2022 afin de laisser le temps aux opérateurs économiques de s’y adapter.
Les dispositions relatives au registre des sûretés mobilières, au gage automobile et au fonds de commerce, qui requièrent à la fois des mesures réglementaires d’application et des développements informatiques nécessaires à leur mise en œuvre, entreront en vigueur à une date qui sera fixée par décret, au plus tard le 1er janvier 2023.
Dans un objectif de simplification, divers gages spéciaux ont été abrogés : le gage commercial, le warrant hôtelier et le warrant pétrolier, le nantissement (le gage) d’outillage et de matériel d’équipement ainsi que le gage de stocks. Seul le droit commun du gage s’applique désormais, afin d’améliorer la lisibilité du droit des sûretés. Cette réforme du droit des sûretés répond ainsi à un triple objectif :
- la sécurité juridique ;
- le renforcement de l’efficacité des sûretés ;
- le renforcement de l’attractivité du droit français.
1. La généralisation et l'autorisation de la signature électronique
De manière à poursuivre la dématérialisation rendue nécessaire pendant la crise sanitaire, la signature électronique des actes de sûretés est généralisée et autorisée, pour permettre un parcours de souscription « full online ». Lever ce frein, à l’ère du numérique, était indispensable. Réelle modernisation du droit des sûretés, la signature électronique ne concerne donc plus uniquement les sûretés consenties par une personne pour les besoins de sa profession, mais s’applique à toutes les sûretés réelles et personnelles.
2. La simplification du régime du cautionnement
Simplification et unification des règles. – La réforme du droit des sûretés simplifie les règles applicables au cautionnement 3 et regroupe l’ensemble des dispositions, éparpillées dans le Code de la consommation, le Code monétaire et financier ou des lois non codifiées, au sein du Code civil permettant ainsi une unification des règles. Sont désormais réputés actes de commerce les cautionnements de dettes commerciales (C. com., art. L. 110-1, mod.).
Ainsi, en considération de sa nature civile ou commerciale, le contentieux relatif au cautionnement est soumis à la même juridiction que le contentieux relatif à la dette principale. La protection de la caution personne physique est généralisée et s’applique indifféremment aux consommateurs et aux dirigeants, quelle que soit la qualité du créancier. La consécration légale de la sous-caution est également bienvenue (C. civ., art. 2291-1 et 2304 nouveaux).
Mention « manuscrite ». – Le régime de la mention est simplifié et dématérialisé. Le texte imposé de la mention que doit reproduire la caution personne physique est supprimé, se conformant ainsi aux évolutions de la jurisprudence 4. La mention manuscrite reste exigée pour la validité du cautionnement, à peine de nullité, mais aucune rédaction précise n’est imposée.
Il faudra alors faire preuve de vigilance lors de la rédaction pour que la nature et la portée de l’engagement de la caution soient assez claires et précises (C. civ., art. 2297 nouveau). En tout état de cause, la caution personne physique devra a minima indiquer le débiteur, le créancier, le montant (en lettres et en chiffres) et la solidarité du cautionnement, en visant le bénéfice de discussion et de division.
Opposabilité des exceptions. – Dorénavant, dans ses rapports avec le créancier garanti, la caution pourra opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur principal, à l’exception de son défaut de capacité à contracter et des mesures légales ou judiciaires dont il bénéficie en conséquence de sa défaillance (C. civ., art. 2298 nouveau), rejetant ainsi fermement la jurisprudence antérieure.
Devoir de mise en garde. – Le devoir de mise en garde concerne les rapports de toute personne physique avec un créancier professionnel, et ne pèse donc plus exclusivement sur les établissements de crédit.
La distinction entre caution avertie et non avertie, qui était source de contentieux et d’insécurité juridique, est abandonnée. Consacrant la jurisprudence actuelle, ce devoir ne porte plus que sur l’inadaptation de l’engagement du débiteur principal à ses capacités financières. Le manquement au devoir de mise en garde est désormais sanctionné par la déchéance du créancier à son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci (C. civ., art. 2299 nouveau).
Proportionnalité. – La réforme intègre dans le Code civil l’exigence légale de proportionnalité du cautionnement. La disproportion ne s’apprécie qu’au jour de la conclusion de l’engagement. Disproportionné, le cautionnement est désormais réduit à hauteur des capacités financières de la caution au jour de l’engagement, au regard de son patrimoine et de ses revenus (C. civ., art. 2300 nouveau).
Cette nouvelle sanction – allégée –, qui remplace l’inopposabilité, permet d’éviter d’aboutir à des solutions excessives et de lutter contre le surendettement de la caution. Dès lors, il sera opportun pour les banques de pouvoir établir précisément l’état de la situation financière de la caution, notamment grâce à ses comptes sociaux et à l’état de son patrimoine au jour de la conclusion de l’engagement. En revanche, est supprimé le retour à meilleure fortune. Si le cautionnement est disproportionné à l’origine, le créancier ne dispose plus de cette faculté de sauvetage.
Défaut de subrogation. – La réforme modifie le régime du bénéfice de subrogation en prévoyant que la caution ne peut reprocher au créancier son choix du mode de réalisation d’une sûreté (C. civ., art. 2314 nouveau), diminuant le contentieux existant en la matière. Le législateur s’oppose ainsi à la jurisprudence établie antérieurement.
3. L'amélioration des règles relatives aux sûretés réelles immobilières
La réforme n’a pas bouleversé le régime des privilèges mobiliers mais a transformé, pour l’avenir, les privilèges immobiliers spéciaux soumis à publicité par des hypothèques,légales (C. civ., art. 2402 nouveau). En outre, l’hypothèque légale spéciale du prêteur de deniers prend rang au jour de son inscription (C. civ., art. 2418 nouveau). La rétroactivité et le délai de 2 mois pour inscrire sont supprimés. Les dispositions transitoires prévoient que les privilèges déjà inscrits conservent leur rang et les effets relatifs à la rétroactivité, selon le principe de survie de la loi ancienne, et les privilèges nés quelques jours ou semaines avant l’entrée en vigueur peuvent être inscrits et bénéficient de la rétroactivité si le délai légal d’inscription de 2 mois est respecté.
La prohibition des hypothèques portant sur des biens futurs est également levée (C. civ., art. 2414 nouveau) et le maintien de la couverture hypothécaire en cas de subrogation à l’ensemble des accessoires est étendu (C. civ., art. 2390 nouveau). Désormais, les accessoires sont garantis par l’inscription initiale.
4. L'Harmonisation des règles de publicité des sûretés mobilières
La diversité des règles actuelles de publicité des sûretés mobilières, avec en particulier une multiplicité de registres, est source de complexité et nuit à l’attractivité internationale du droit français. La réforme innove en prévoyant, pour l’ensemble des sûretés mobilières à l’exception du gage de véhicule automobile, la centralisation des inscriptions mobilières.
5. La modernisation du gage de meubles corporels
Afin de permettre le développement de certains types de financement (par ex., éolien ou solaire), la réforme consacre la validité du gage d’immeubles par destination (C. civ., art. 2334 nouveau), couvrant aussi bien les situations dans,lesquelles un bien meuble sur lequel un gage a été constitué est par la suite intégré à un immeuble et devient immeuble par destination, que celles où le gage est constitué ab initio sur un bien immobilisé par destination.
Ainsi, il sera désormais possible de constituer un gage de droit commun sur des biens meubles qui ont vocation à être intégrés aux bâtis (par ex., turbines, panneaux solaires, centrales solaires, installations industrielles ou minières), ce qui facilitera le financement dans le domaine des énergies renouvelables. À noter, cependant, qu’en cas de conflit entre les créanciers hypothécaires et les créanciers gagistes, l’ordre de préférence est déterminé par les dates auxquelles les titres respectifs ont été publiés, nonobstant le droit de rétention des créanciers gagistes (C. civ., art. 2419 nouveau).
En outre, la réalisation du gage est simplifiée. En effet, compte tenu de la disparition du gage commercial, la possibilité pour le créancier de faire procéder à la vente publique des biens gagés est introduite dans le droit commun du gage (C. civ., art. 2346 nouveau). Cette faculté est toutefois limitée à l’hypothèse où le gage est constitué en garantie d’une dette professionnelle. Par ailleurs, le régime du gage des choses fongibles est modernisé notamment en ce qui concerne la faculté d’aliéner les biens affectés en gage (C. civ., art. 2341 et 2342 nouveaux).
6. Le renforcement de l'efficacité du nantissement de créance
Le nantissement de créance est désormais doté d’un régime très efficace. La réforme clarifie le droit du créancier nanti au paiement : le créancier nanti bénéficie, après notification au débiteur, d’un droit de rétention sur la créance nantie (C. civ., art. 2363 nouveau) qui lui donne un droit exclusif à son paiement. Ce droit de rétention est opposable à la procédure collective (C. com., art. L. 643-8, mod.). Cependant, dans le cas d’un compte bancaire nanti, le créancier nanti ne peut bloquer les sommes du compte nanti au seul motif de l’ouverture d’une procédure collective conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation .
7. L'assouplissement du régime applicable au nantissement de compte-titres et de titres financiers
La réforme consacre la validité d’un nantissement de compte-titres 9 en l’absence d’ouverture de compte fruits et produits. Est ainsi expressément prévue la possibilité pour les parties d’exclure conventionnellement les fruits et produits de l’assiette du nantissement de compte-titres. S’agissant des exigences relatives à l’ouverture du compte fruits et produits, celles-ci sont assouplies de manière à atténuer les difficultés et délais que peut engendrer l’ouverture d’un tel compte auprès d’établissement de crédit, notamment lorsque le constituant a son siège social à l’étranger.
En pratique, l’assouplissement du régime applicable au nantissement de compte-titres facilitera les closings d’opérations de financement, puisque l’ouverture du compte fruits et produits, à la date de signature, n’était pas toujours aisée, en particulier lorsque l’agent des sûretés n’avait pas de succursale en France. Le compte fruits et produits peut ainsi, opportunément, être ouvert à tout moment à compter de la signature de la déclaration de nantissement, jusqu’à la date à laquelle la sûreté peut être réalisée.
Si ce compte est ouvert, le nantissement rétroagira à la date de la déclaration du gage et à défaut, les fruits et produits seront exclus de l’assiette du nantissement (C. mon. fin., art. L. 211-20, mod.).
8. La consécration de la validité des nantissements de rangs successifs
La validité des sûretés de rangs successifs est consacrée par la réforme, s’agissant du nantissement de créance et du nantissement de compte-titres. En effet, lorsqu’une même créance fait l’objet de plusieurs nantissements, le rang des créanciers est réglé par l’ordre des actes, la date de leur déclaration (C. civ., art. 2361-1 nouveau). De même, lorsqu’un même compte-titres fait l’objet de plusieurs nantissements successifs, le rang des créanciers est réglé par l’ordre de leur déclaration (C. mon. fin., art. L. 211-20, mod.).
Dans ce cas, le titulaire du compte ou le créancier nanti notifie successivement chacun des nantissements au teneur de compte. Par exception, le rang des créanciers peut être aménagé conventionnellement.
9. La clarification des règles relatives à la constitution et à la réalisation de la fiducie-sûreté
La réforme prévoit que la fiducie peut garantir des dettes futures qui doivent alors être déterminables (C. civ., art. 2372-1 nouveau), tandis qu’est supprimée l’obligation d’évaluer les biens qui sont transférés dans le patrimoine fiduciaire (C. civ., art. 2372-2 nouveau). Par ailleurs, le fiduciaire peut désormais vendre les biens donnés en fiducie à un prix différent de celui fixé par l’expert si une vente à ce prix n’est pas possible. L’exigence d’expertise est toutefois maintenue afin d’assurer la protection du constituant (C. civ., art. 2372-3 nouveau).
10. L'introduction des deux nouvelles sûretés-proproétés
La cession de créance de droit commun à titre de garantie 10 et la cession de somme d’argent à titre de garantie 11 sont consacrées.
La cession de créance à titre de garantie (C. civ., art. 2373 à 2373-3 nouveaux). – Cette nouvelle sûreté opère un véritable transfert de la propriété de la créance de manière temporaire, contrairement à la cession de somme d’argent à titre de garantie. Écartant la jurisprudence qui refusait d’y reconnaître une sûreté 12, cette cession de créance à titre de garantie est opportune car elle permet de garantir tout type d’engagement et est ouverte à tous les créanciers, contrairement à la cession Dailly réservée aux établissements de crédit, fonds d’investissement alternatifs et sociétés de financement. La cession de créance à titre de garantie est soumise au droit commun de la cession de créance. À noter que cette cession ne bénéficie pas du traitement favorable en cas de procédure collective comme la cession Dailly.
La cession de somme d’argent à titre de garantie (C. civ., art. 2374 à 2374-6 nouveaux). – Cette nouvelle sûreté opère un véritable transfert de propriété de la somme d’argent du cédant au cessionnaire à titre de garantie de manière définitive. La désignation des sommes d’argent cédées risque de soulever des difficultés, notamment lorsque cette sûreté est utilisée pour venir garantir des opérations renouvelables entre les mêmes parties. Par ailleurs, le principe de libre disposition des sommes cédées par le cessionnaire est réaffirmé. Si le cessionnaire a la libre disposition de la somme cédée, un intérêt peut être stipulé au profit du cédant.
Sauf clause contraire, les fruits et intérêts accroissent l’assiette de la garantie si le cessionnaire n’a pas la libre disposition de la somme cédée. Les parties s’organisent contractuellement entre elles. Enfin, la cession est opposable aux tiers par la remise de la somme d’argent sans qu’une publication ne soit nécessaire.
TABLEAU COMPARATIF DES ARTICLES AVANT/APRÈS LA RÉFORME DU DROIT DES SÛRETÉS